La culture du thé au Népal fait partie intégrante de l’histoire du pays et de son patrimoine. Qu'il s'agisse des salons de thé locaux ou des maisons de thé qui servent les touristes venus du monde entier pour gravir certains des plus hauts sommets de la planète, le thé est aujourd'hui un élément essentiel de la vie sociale népalaise.
Grâce à ses saveurs uniques, le thé népalais est de plus en plus apprécié dans le monde entier et il est intéressant de faire petit voyage à travers son histoire.
Comparée à l'histoire de la consommation et de la culture du thé en Chine qui s'étend sur des millénaires, l'histoire du thé népalais est extrêmement récente. Elle a débuté à la fin du 19ème siècle.
Tout commence autour de 1873, lorsque le colonel Gajraj Singh Thapa visite Darjeeling. A l’époque, il est gouverneur général du Népal oriental et gendre du Premier Ministre Jung Bahadur Rana (photo à droite). Une dizaine d'années auparavant, la Compagnie des Indes orientales, sous l'autorité coloniale britannique, avait établi des plantations de thé à Darjeeling pour répondre à la forte demande de thé en Europe.
Au cours de sa visite, Gajraj Singh Thapa aurait été impressionné par les plantations de thé de Darjeeling et séduit par les saveurs du thé qu’on lui sert. Il est alors décidé à fonder une plantation de thé au Népal et fait part de son idée à son beau-père.
Celui-ci lui accorde alors le district d'Ilam en tant que "Birta", un système impérialiste de distribution de terres exonérées d'impôts sous forme de dons. Gajraj Singh Thapa a ensuite fondé les deux premières plantations de thé au Népal : le domaine d'Ilam et le domaine de Soktim. Les premiers plants de thé ont été offerts par l'empereur de Chine, tandis que de nombreux autres plants ont été importés de Darjeeling.
On ne peut cependant exclure l'existence de cultures de thé au Népal à petite échelle avant cette période. En effet, nous savons qu'avant les plantations de thé modernes, le thé, compressé en briques et souvent dégusté avec du sel, s'est répandu dans le monde entier par les anciennes routes de la soie.
La route de la soie reliait le Népal aux régions productrices de thé de Chine par l'intermédiaire de deux réseaux. L'un d'eux partait des régions productrices de thés Pu'er dans la province chinoise du Yunnan et rejoignait le Népal et l'Inde en passant par Lhassa, au Tibet. C’est l’une des routes les plus anciennes de la région, puisqu'elle remonte au VIIe siècle. On peut donc supposer que les habitants du Népal connaissaient - et peut-être cultivaient - le thé depuis cette époque. Mais nous n'en n'avons pas de trace historique.
L’industrie du thé au Népal a longtemps été du domaine du gouvernement, les choses ont changé à la fin des années 80.
En 1985, le gouvernement népalais a créé une "zone de thé" qui s'étendait dans l'est du pays à partir du district d'Ilam, (là où les premières plantations de thé avaient été créées). Ces zones sont le plus souvent occupées par plusieurs producteurs réunis en coopératives, maintenant propriétaires des terres. L’industrie du thé népalais ne cesse de se développer : des dizaines de milliers de Népalais sont directement et indirectement employés dans la production du thé.
Nous citerons par exemple la coopérative Shangri-La, qui emploie 65 personnes et collecte le thé de plus de 600 petits producteurs locaux. Elle est engagée dans une démarche de développement durable et a été la première production de thé certifiée bio du Népal. Elle produit des thés de haute qualité comme le thé noir du Népal Shangri La Gold.
Ou encore la coopérative Kanchanjangha Tea Estate qui produit le délicieux thé noir Kanchenjunga bio, sur les contreforts du Kangchenjunga, 3ème plus haut sommet du monde. Les agriculteurs sont aujourd'hui propriétaires des 94 hectares qu'ils cultivent. Leur thé est reconnu comme l'un des meilleurs thés orthodoxes biologiques du Népal.
Il existe une cinquantaine de plantations de thé au Népal. Profitant d’un micro-climat similaire à Darjeeling (seulement quelques dizaines de kilomètres séparent la frontière du Népal et Darjeeling), certains jardins fabriquent des thés de qualité, équivalents voir supérieurs aux grands crus de Darjeeling, avec leur propre caractère aromatique. C’est le cas du jardin Jun Chiyabari.
Le jardin familial Jun Chiyabari, n’est pas un jardin de thé comme les autres, nous avons envie de mettre en lumière son histoire, sa philosophie, et le côté à la fois innovant et artisanal de ses méthodes de production.
Le Jardin Jun Chiyabari a été créé par deux frères, Lochan et Bachan, qui ont grandi à Darjeeling.
Lors d’un déjeuner entre amis en 2000, ils se remémorent leurs souvenirs d’enfance et parlent de leur école qui était située au milieu des cultures de thé. Souvent, l'arôme du thé se répandait dans l'air vif de la montagne. La vue des théiers verts qui s'étendaient de la cour de récréation jusqu'à la vallée de la Teesta, et les mélancoliques chansons d'amour népalaises des cueilleurs de thé qui remontaient la vallée, étaient encore très fraîches dans leurs mémoires. Ils réalisèrent que le thé était inconsciemment devenu synonyme de tous les bons souvenirs de leurs années d'école.
Après ce déjeuner, Lochan et Bachan évoquent l’idée de créer un jardin de thé unique dans l'est du Népal, une entreprise qui les relierait émotionnellement à leur enfance. « Nous savions que nous allions nous heurter à des obstacles, car nous n'avions aucune expérience dans l'industrie du thé. Cependant, inspirés par nos souvenirs, nous avons commencé à enquêter et à explorer afin de créer un jardin de thé différent : un jardin qui pourrait innover en produisant d'excellents thés, voire des thés uniques. Nous voulions nous débarrasser des règles et créer nos propres règles partout où c'était possible. »
Lochan et Bachan partent donc à la recherche de l’endroit idéal pour s’installer, ils explorent les collines de l'est du Népal, ils examinent différents facteurs tels que le changement climatique et le futur réchauffement de la planète, ainsi que les bonnes pratiques commerciales d'autres régions productrices de thé, comme le Japon et Taïwan. Au fil du temps, la vision de leur entreprise devient plus claire.
Après un travail acharné, le jardin de thé voit le jour en 2001 : 75 hectares, répartis en trois divisions sur les collines autour de la petite ville de Hile, Dhankuta, haut perché dans l’Himalaya. Ce jardin de thé a été baptisé Jun Chiyabari, ce qui signifie "jardin de thé au clair de lune" en népalais.
Le Jun Chiyabari Tea Garden s’étend entre 1400 m et 2200 m d’altitude, son élévation moyenne tournant autour de 1850 m. La région est froide, mais bénéficie toute de même d’un vent chaud, car le jardin de thé se trouve à moins de 25 km à vol d'oiseau des jungles vaporeuses et luxuriantes des basses terres du Terai au sud. Le mélange de l'air chaud du sud et de l'air froid du nord enveloppe souvent le jardin de thé d'une brume fraîche, ce qui permet de bonnes conditions de culture du thé.
L'effet de l'altitude, les journées ensoleillées et chaudes ponctuées de brumes de montagne et de nuits fraîches, font que ce thé du Népal est invariablement léger et aromatique, et révèle parfois des arômes fleuris, fruités, herbeux ou même de noisette, selon la variété de thé et le traitement.
Contrairement à la plupart des jardins qui ne mélangent pas les cultivars, le jardin Jun Chiyabari, lui, a été planté en petites parcelles avec différents cultivars de haute qualité, provenant des meilleures régions de l’est de l’Asie (Chine, Taïwan, Inde, Japon). À l'intérieur et entre ces petites parcelles, sur les pentes des collines, se trouvent des forêts, des bambouseraies, des rochers, des ruisseaux et des cours d'eau.
Un terroir unique qui donne un thé du Népal exceptionnel.
Jun Chiyabari a été établi dès le départ comme un jardin de thé biologique. Depuis la première plantation en 2001, il était évident pour les fondateurs, qu’une production naturelle et raisonnée étaient le fondement de la fabrication d'excellents thés. Les théiers sont plantés dans le respect de la nature, sans la déranger, une culture non-invasive et non-intensive. La plantation produit environ 20 tonnes de thé par an, le ratio vis-à-vis de la superficie est donc faible.
« Nous nous efforçons de devenir toujours plus naturels, un peu à l’image d’une forêt ou d’une jungle où les arbres sont cultivés naturellement. Évidemment, nous continuons de tailler et d’élaguer nos théiers, mais nous laissons aussi volontairement pousser les mauvaises herbes dans plusieurs secteurs, comme dans une jungle. C’est une des raisons pour lesquelles le jardin a l’air aussi luxuriant. »
Les fondateurs s’efforcent toujours d’innover et cherchent constamment à améliorer la qualité de leurs thés bio.
« Nous invitons souvent des maîtres du thé de l'étranger et apprenons d'eux ; de plus, nos clients du monde entier nous font part de leurs commentaires, que nous prenons au sérieux pour élaborer nos thés. »
Le jardin produit différentes variétés de thé, soumises à des méthodes de traitement différentes avec plusieurs étapes. Certains thés sont manufacturés selon les pratiques de la région, d’autres avec des techniques originaires d’Asie du Sud-Est.
Les étapes de production sont propres à chaque thé et s’adaptent aussi en fonction de la saison et de la qualité des feuilles.
Voici en résumé, les principales étapes de fabrication du thé du Népal :
La première étape de production du thé du Népal est la récolte des jeunes feuilles.
En se référant à un calendrier précis, la cueillette a une influence importante sur le thé. La récolte de printemps, dite « first flush » pour les connaisseurs, est la plus prisée car elle produit les meilleurs crus. On la qualifie de "récolte de prestige".
Seules les jeunes pousses situées à l’extrémité du théier sont récoltées. Les cueilleuses sélectionnent avec soin les plus belles. Les premières pousses cueillies au printemps sont riches en sève, ce qui donne au thé un parfum unique et délicat, que l’on ne retrouvera pas dans les récoltes suivantes. Cette cueillette n’offre pas de grandes quantités, ce qui rend ces thés rares et donc plus couteux.
Une fois les feuilles arrivées à l'usine, le maître de thé décide du type de thé à préparer (thé noir, thé vert, thé blanc, oolong) en fonction de l'aspect des feuilles, du type de théier, et même de l'heure à laquelle les feuilles ont été cueillies.
Pour faire des thés noirs, les feuilles sont étalées sur de vastes plateaux au soleil afin de leur faire perdre une grande partie de leur humidité et amorcer le processus d’oxydation. Pour les thés verts en revanche, les feuilles ne subissent pas de fletrissage et passent directement à l’étape de roulage.
Les feuilles sont roulées à la main ou à l'aide de machines afin de briser les cellules et de libérer les arômes présents naturellement.
Après le roulage, les feuilles de thé noir sont placées au contact de l’air, dans une atmosphère chaude et humide, ceci va favoriser ce que l’on appelle l’oxydation enzymatique. Cette phase va révéler l’astringence du thé, sa saveur et sa couleur.
Enfin, les feuilles sont chauffées, ou "cuites", pour mettre fin au processus d'oxydation et pour les déshydrater afin qu'elles puissent être stockées. Certains thés subissent plusieurs torréfactions pour leur donner un caractère particulier.
Les dégustateurs de thé de l'usine goûteront le produit fini pour s'assurer qu'aucune erreur n'a été commise au cours de la fabrication et que le thé répond bien aux exigences de qualité du jardin, afin de délivrer des thés d’exception.
Dans un prochain article, nous vous expliquerons plus en détails les différentes étapes de production de thé.
Le jardin Jun Chiyabari emploie directement plus de 200 personnes, principalement des femmes, dans un district rural pauvre des collines du Népal. Il est impératif pour eux de prendre soin des employés, mais aussi de la communauté locale, en contribuant à l'amélioration de la situation des personnes les moins fortunées.
« L'une de nos philosophies fondamentales est d'être un membre actif et une partie intégrante de notre communauté locale. »
Le Jardin Jun Chiyabari a un programme qui aide les écoles locales en leur fournissant des fournitures de base, telles que des livres, des ordinateurs et en contribuant au salaire des enseignants.
Ils cherchent actuellement des financements pour la réhabilitation d'une école délabrée situé dans un coin reculé adjacent à l'une de leurs parcelles de thé. Il s'agit d'une école publique accueillant principalement des familles à faibles revenus. Le Jardin Jun Chiyabari soutient également la scolarisation des petites filles.
Le jardin de thé soutient la maison de retraite du district, en lui fournissant des vêtements et de la nourriture.
Le Jardin Jun Chiyabari nous séduit par sa philosophie et ses valeurs, mais aussi bien sûr par la qualité de ses thés bio. Nous référençons leur thé noir bio Jun Chiyabari, issu d’une récolte de printemps, c'est un thé du Népal unique qui fait partie de nos thés favoris, nous vous recommandons fortement de le goûter si ce n'est pas déjà fait.
Sources :
Sites : https://junchiyabari.com , https://nepalteacollective.com
Livre : "Le Thé c'est pas sorcier" de Yasu Kakegawa