Vous connaissez certainement les 4 saveurs de base : sucré, salé, amer, acide. Mais connaissez-vous la saveur umami ? En quoi consiste cette saveur ? Est-elle une saveur fondamentale ? Quel rapport avec le thé ? Et quel rapport avec Obélix ?!!
Qu’il s’agisse de thé, de vin, de café, de gastronomie en général, l’art de la dégustation est riche d’un vocabulaire très poétique : équilibré, astringent, puissant, floral, léger, fumé, boisé, soyeux, rond, corsé, râpeux, tannique, etc. Ces termes sont associés à une multitude de sensations en bouche dont la perception reste assez subjective.
Dans une approche un peu plus scientifique, notre culture occidentale distingue 4 saveurs de base ou saveurs fondamentales :
Mais on entend également parler, de manière plus récente, de la saveur umami que l’on rencontre entre autres dans certains thés. En quoi consiste cette saveur ? Est-elle la 5ème saveur fondamentale ?
Mais commençons par le début…
On serait tenté de voir les saveurs fondamentales comme les couleurs primaires à partir desquelles on peut définir toutes les autres couleurs par un simple mélange. Il n’en n’est rien. Selon les scientifiques, une saveur fondamentale doit :
Autrement dit, une saveur fondamentale correspond à une molécule qui est détectée par les récepteurs que sont nos papilles gustatives sur la langue.
Et jusqu’à présent nous avions l’habitude de cartographier la langue en fonction d’une spécialisation des papilles pour chaque saveur.
Mais comme nous le verrons à la fin, les choses ne sont peut-être pas si simples.
Voici comment Emiko Okamoto - nommée ambassadrice du thé pour la Suisse par le ministère de l’agriculture japonais - décrit la saveur umami :
"Plus qu’un goût, c’est un élément inqualifiable, contenu dans des produits totalement différents les uns des autres qui apportent une saveur enveloppante et longue qui porte le même nom".
"Un élément inqualifiable". Nous voilà bien avancés ! Si l’expression de saveur enveloppante et longue donne un premier aperçu de ce que signifie "umami", cette cinquième saveur reste encore mystérieuse ! Découvrons ensemble l’histoire de l’umami.
Dans l’antiquité, à Rome et en Grèce, on utilisait un condiment appelé garum ou liquamen. Il était fabriqué à partir de chair de poisson fermentée, avec beaucoup de sel pour éviter fermentation et pourrissement. L'utilisation du garum s'est éteinte avec l'Empire romain mais on peut le comparer à la sauce Nuoc-Mâm actuelle.
Plus tard, le chimiste français Louis Jacques Thénard (1777 - 1857) a élaboré le concept d’osmazôme, repris ensuite par le gastronome Brillat-Savarin (1755 – 1826) dans son ouvrage "Physiologie du goût" paru en 1825. Voici comment Brillat-Savarin décrit l’osmazôme : "…D'un brun rougeâtre, d'une odeur aromatique particulière, très-sapide, déliquescente, soluble dans l'eau et dans l'alcool, azotée, et néanmoins passant difficilement à la fermentation putride".
Garum et Osmazôme sont les précurseurs de cette saveur que l’on appelle aujourd’hui Umami.
Ce n’est qu’en 1908 que cette saveur a réellement été identifiée par le chimiste japonais Kikunae Ikeda, professeur à l'Université Impériale de Tokyo. Il l’a étudiée en particulier dans le kombu dashi (bouillon d’algues) et remarqué qu’elle était différente des 4 saveurs connues jusqu’à présent (sucré, salé, acide, amer). Il en a isolé la molécule responsable : le glutamate. Il a appelé cette saveur umami (ça s’écrit うま味 en japonais )
Umami est issu des termes japonais "umai", délicieux, et "mi", le goût. Ce "goût savoureux" est effectivement bien connu dans la gastronomie nippone, mais mal identifié par les palais occidentaux.
Et pourtant l’umami est présent dans de nombreux aliments sur tous les continents :
Il est vrai qu’isoler la saveur umami n’est pas simple parce que dans notre cuisine occidentale le sucré, le salé, l’acide ou l’amer sont au premier plan et masquent souvent cette saveur. L’umami est plutôt une saveur de fond et un exhausteur de goût, qui se caractérise par sa profondeur et sa longueur en bouche, mais aussi par sa rondeur. Il est discret mais bien présent, et laisse une sensation durable.
La saveur umami se rencontre par exemple dans :
C’est finalement en 1985, lors du premier Umami International Symposium qui s’est tenu à Hawaii, que l’umami a officiellement été défini et reconnu comme cinquième saveur fondamentale.
Le chimiste japonais Kikunae Ikeda a donc identifié la composante principale de l’umami : le glutamate. C’est un acide aminé présent dans toutes les protéines végétales et animales. Cet acide aminé est non essentiel, c’est-à-dire produit par l’organisme mais sécrété en quantité insuffisante. Il est donc important de l’apporter par l’alimentation (et pour cela le thé est notre meilleur allié !).
Le glutamate est un neurotransmetteur, il permet ainsi de favoriser la transmission des messages nerveux dans le cerveau. Il joue donc un rôle dans les fonctions cérébrales d’apprentissage et de mémorisation. On peut le retrouver dans notre alimentation sous une forme libre ou liée. Sous forme libre, c’est-à-dire présent seul comme acide aminé, le glutamate est directement associé à la saveur umami de l’aliment. Sous forme liée, c’est-à-dire en tant que composant d’une protéine, le glutamate reste sans saveur. C’est alors un processus de fermentation, cuisson, ou infusion qui hydrolyse la protéine et libère la saveur Umami du glutamate.
Ce neurotransmetteur est un composant de certains thés auxquels il donne cette saveur umami unique après infusion.
Bien entendu, la liste des aliments qui contiennent du glutamate ressemble à la liste des aliments qui développent une saveur umami. Mais voici une approche plus précise de leur teneur en glutamate.
Les algues (et produits dérivés), les tomates séchées, les champignons séchés, le Parmesan… Voilà quelques exemples d’aliments à forte teneur en glutamate (jusqu’à 3000 mg / 100 g).
Pour les plus curieux, le site de l’Umami Information Center dresse une liste très complète d’aliments avec leur teneur en glutamate : www.umamiinfo.com/richfood
Forcément chez J’adore le thé ! nous ne pouvions pas faire autrement que détailler le cas du thé, et plus particulièrement du thé vert.
Le thé vert contient en effet une quantité importante de glutamate. Cependant en dégustant différents thés verts on ressent de manière assez variable les saveurs sucré, umami, astringent et amer, selon l’origine des thés. Les saveurs sucré et umami sont dues à la présence de théanine et de glutamate, deux types d'acides aminés, le goût astringent à la catéchine et le goût amer à la caféine.
Comment l'astringence (catéchine) du thé vert est-elle liée à la théanine, riche en umami ?
On sait que la catéchine, responsable de l'astringence, est formée à partir de la théanine, un acide aminé qui confère à la fois le goût umami et le goût sucré, par une réaction avec la lumière du soleil sur les feuilles de thé pendant leur croissance. Il est donc logique que l'on trouve de grandes quantités de théanine dans les variétés de thé vert réputées riches en goûts umami et sucré, comme le thé dit "first flush" (ichibancha en japonais, c’est-à-dire première récolte), fabriqué à partir de très jeunes feuilles de thé, cueillies tôt, et le thé vert de qualité supérieure (gyokuro), fabriqué à partir de feuilles cultivées à l'ombre, et donc protégées de la lumière du soleil qui forme la catéchine. Il est à noter que la composition chimique de la théanine est extrêmement similaire à celle du glutamate.
Un thé vert de qualité supérieure, de type Gyokuro, contient les niveaux les plus élevés de théanine et de glutamate avec 2500 mg de théanine et 450 mg de glutamate pour 100 g de thé. A l’inverse, un thé torréfié (Hojicha) fabriqué à partir de feuilles de théiers matures ne contient que 22 mg de théanine et 17 mg de glutamate pour 100 g de thé. Cela représente un écart d'environ 1 à 100 pour la théanine et d'environ 1 à 25 pour le glutamate, ce qui indique que si le thé vert de qualité supérieure est riche en umami, le thé torréfié ne l'est pas.
Autrement dit, on trouvera la saveur umami particulièrement dans les thés Gyokuro ou Kagoshima Kabusecha, et dans une moindre mesure dans le thé Sencha, mais pratiquement pas dans un thé Hojicha.
Les Japonais ont l’art de choisir un thé pour chaque occasion selon la coutume et la tradition. Par exemple un Gyokuro ou un Sencha pour accompagner quelques délicatesses sucrées. Et un thé torréfié Hojicha comme boisson rafraîchissante après le repas.
Se préparer une tasse ou deux de l'un des thés verts du Japon pourrait être le moyen idéal de s'asseoir, de se détendre et d'apprécier le goût umami n’est-ce pas ? Essayez par exemple de retrouver la saveur umami dans le thé vert Kagoshima Kabusecha : un goût puissant, aux notes végétales associé à une belle rondeur… Vous voyez ce que l’on veut dire ? Alors vous avez percé le secret de l’umami !
Cet article aurait pu s’arrêter là puisque nous savons presque tout sur l’umami : son histoire, sa chimie, les aliments emblématiques de cette saveur. Mais ce serait laisser croire que le débat sur les saveurs est clos, alors qu’il anime vivement la communauté scientifique.
En effet, si une cinquième saveur a été officiellement reconnue en 1985, pourquoi n’y aurait-il pas d’autres saveurs ?
Rappelons qu’une saveur doit correspondre à une molécule clairement identifiée, avec des récepteurs gustatifs associés (sur la langue) et provoquer une réponse comportementale propre.
Selon une étude parue dans Chemical Science en août 2016, une autre saveur est candidate pour une reconnaissance officielle. Elle s’appelle, starchy, que l’on pourrait traduire par "amidonné", et se rencontre notamment dans les féculents.
Mais starchy n’est pas la seule candidate au titre de saveur fondamentale.
D’après Loïc Briand, spécialiste de la flaveur au CSGA (Centre des Sciences du Goût et de l'Alimentation - INRA Dijon) : "De nombreux goûts sont à l’étude, tous plus ou moins susceptibles d’intégrer la liste des officiels : le goût métallique du sang, l’astringence caractéristique d’une noix fraîche ou d’une banane trop verte, ou encore le goût du gras".
On parle aussi de la saveur kokumi qui correspond à l’onctuosité. Les scientifiques ont découvert les récepteurs gustatifs propres à cette saveur et sa réponse comportementale. Mais ils ne sont pas parvenus à distinguer l’identité caractéristique de kokumi dans des aliments.
Mais que veut dire "distinguer l’identité caractéristique" d’une saveur dans un aliment ? Prenons l’exemple de la saveur amidonnée starchy :
Dans une expérience menée par Juyun Lim (Oregon State University - Department of Food Science and Technology), les testeurs ont été capables de repérer le goût starchy parmi divers aliments contenant de l’amidon. Les asiatiques ont décrit une saveur proche du riz et les occidentaux, une saveur ressemblant au pain ou aux pâtes. De plus, les testeurs ont été capables d’identifier ce goût même lorsqu’on leur administrait un inhibiteur des récepteurs du sucre (c'est-à-dire de glucides dits simples, car de petite taille moléculaire, par opposition aux molécules complexes des produits céréaliers). À l’inverse, ils ne pouvaient plus le faire lorsque était inhibée l’amylase, l’enzyme salivaire chargée de casser les grandes chaînes du polymère de glucose (amidon) en plus petits éléments - en d’autres termes, de transformer les sucres lents en sucres rapides.
Ce double résultat entérine la différence entre la saveur du sucre et celle de l’amidon et suggère que la perception de cette saveur s’opère au moment où la salive transforme l’amidon en glucose. Mais pour inscrire starchy sur la liste des saveurs fondamentales, il faut encore identifier ses récepteurs propres sur la langue, s’ils existent.
Selon Juyun Lim, les féculents sont les grands absents de la liste actuelle des saveurs officielles et "penser que nous ne pourrions pas sentir le goût d’un composant majeur de notre alimentation n’a aucun sens". Y-aurait-il donc des récepteurs particuliers pour les féculents sur notre langue ? "Oui, mais pas seulement, selon Loïc Briand. Nous y avons certes des récepteurs, mais nous savons aujourd’hui qu’il y en a aussi dans l’intestin. Notre appétence pour les féculents ne vient pas que de notre langue - essayez donc de manger de l’amidon pur, ça n’a pas de goût ! - mais sûrement aussi du bénéfice énergétique que nous tirons des féculents".
Selon Fabrizio Bucella (voir sources en fin d’article), une tendance actuelle "consiste à considérer le nombre de saveurs comme infini, ainsi que l’avait déjà prophétisé Brillat-Savarin. Il s’agirait plutôt d’un continuum de saveurs dans lequel émergent les stimuli que l’Histoire, la culture, la tradition ont catégorisé sous les termes salé, sucré, acide, amer. En 1988, une neurobiologiste française, Annick Faurion, synthétise le concept. Elle montre que les saveurs sont codées différemment, le codage dépendant d’un individu à l’autre. Il n’y a donc pas quatre, ni cinq, ni six saveurs fondamentales, mais une réponse individuelle à des saveurs, des arômes et des sensations somesthésiques comme la chaleur, la pression…"
N’est-il pas merveilleux de constater toute la richesse d’une simple gorgée de thé ? D’un point de vue historique, chimique, sensoriel, culturel et même philosophique…
Bien sûr on peut boire un thé sans se poser de question et l’apprécier simplement parce qu’on lui trouve un bon goût.
Ah mais justement, qu’est-ce que le goût d’un aliment ?! Savez-vous que le goût est la conjugaison des saveurs, de la rétro-olfaction et du système trigéminal ? Cela fera l’objet d’un prochain article extraordinaire sur notre blog 😊
D’ici là, puisque vous voilà maintenant incollable sur l’umami, à vous maintenant de repérer cette saveur subtile parmi les goûts infinis du thé, et n’hésitez pas à nous faire part de vos retours 😊
Chez J’adore le thé ! , re-goûter nos classiques pour y déceler l’umami a été un bon prétexte pour se régaler !
Les sources utilisées pour rédiger cet article :